« L’une des manifestations les plus fascinantes de la vie sur terre est la fermentation. Sa vigueur étonne, car les matières dont elle s’empare gonflent, s’échauffent, bouillonnent, éclatent, répandent de puissantes effluves. La cueillette des raisins sauvages dans le Caucase, puis la domestication de la plante qui les fournit, Vitis vinifera, remonte à la haute Antiquité. De la sélection et de la culture naissent des fruits plus gros et plus juteux, ainsi que l’idée de les presser pour en tirer une boisson qui s’est aussitôt mise à fermenter elle aussi, à chauffer spontanément, bouillonner, à dégager du gaz carbonique. Le vin était né.
Les peuples du Croissant fertile y prennent goût et éprouvent ses effets euphorisants, voire enivrants au-delà d’une certaine consommation. On conçoit aisément qu’une boisson vivante qui, de plus, procure à ses consommateurs de si grands effets soit au cœur de la naissance des religions, c’est-à-dire des croyances et rituels reliant les hommes à leurs dieux. Plus même, les religions grecque et romaine fusionnent le vin et un dieu majeur de leur Panthéon : Dionysos ou Bacchus. La véritable révolution qu’est la naissance du monothéisme juif se déroule dans des flots de vin et quelques épisodes majeurs d’ivresse sacrée. Puis, le christianisme franchit un nouveau pas avec l’Eucharistie, c’est-à-dire la fusion de Dieu et des hommes par la communion au corps et au sang du Christ sous les apparences du pain et du vin : Hoc est enim calix sanguinis meum.
Parée de telles vertus, la boisson divine accompagne donc la diffusion mondiale de la nouvelle religion. Deux freins la limitent : l’islam qui se résout après quelques hésitations à le rejeter dans un fleuve de l’au-delà et le riz. La Route de la Soie se révèle en effet plutôt une impasse pour la viticulture, car plus on se rapproche du Pacifique, plus le riz s’affirme comme le don des dieux. Or il permet, comme toutes les céréales, d’élaborer une sorte de bière qui tient le rôle social et religieux du vin dans toute l’Asie sinisée. Dans les régions du monde les plus tardivement touchées par le christianisme, d’autres boissons fermentées ont permis le lien avec le divin, très proches du vin dans leur symbolique, leurs rituels de consommation, leurs effets merveilleux.
Tels sont le vin de palme de l’Afrique tropicale ou le pulque des anciens Mexicains. On sait aujourd’hui qu’en matière de vin les ferments naturels donnent les résultats les plus complexes et nuancés. Ainsi, le talent, la prudence et la sagesse des bons vignerons rejoignent l’émerveillement des croyants qui perpétuent les cultes de la Vie. »
EXTRAIT Conférence Mr Jean Robert PITTE, Salon des Vins d’Abbayes, 9 Avril 2016